Dans le cadre de ses déjeuners mensuels, l’Association Femmes Débats Société a reçu Edouard PHILIPPE le mardi 8 novembre 2022. Avant de lui présenter brièvement l’Association, la Présidente Monique RONZEAU remercie chaleureusement le Premier Ministre du temps qu’il nous consacre. Elle insiste ensuite sur la diversité des membres de FDS, issues tant du public que du privé, et d’horizons professionnels très divers. C’est cette diversité qui fait le grand intérêt des débats qui s’y déroulent.
L’intervention d’Edouard Philippe va porter sur les motifs d’inquiétudes qu’éprouvent les Français, mais aussi les raisons de garder confiance en l’avenir.
Les Français se disent inquiets : tout le monde parle de crises qu’elles soient énergétiques, sécuritaires, sociales. Or, un regard rétrospectif permet de les relativiser. En se reportant tous les vingt ans, que voit-on ? En 2002, les attentats du 11 septembre, en 1982, la guerre froide qui se réchauffe avec le conflit en Afghanistan, la rigueur économique, en 1962, la crise de Cuba et le risque d’une guerre nucléaire. Quant à 1942, mieux vaut ne pas l’évoquer…. Nous ne vivons donc pas dans un monde sans précédent, nous vivons un moment exaltant mais ressenti comme périlleux. Pour quelles raisons ?
Parce que nous vivons une crise multiforme, d’abord démographique : la population mondiale a connu une expansion démographique sans précédent mais une expansion déséquilibrée car cinq fois plus rapide dans l’hémisphère Sud que dans l’hémisphère Nord. Expansion particulièrement déséquilibrée en Chine où le vieillissement de la population est très marqué. Autre inquiétude particulièrement présente chez les jeunes : le climat avec la montée du niveau des eaux, les atteintes à la biodiversité. Vertige technologique aussi avec le développement de la robotique et de l’intelligence artificielle qui ouvrent aux machines des possibilités d’apprentissage à même de remplacer ou de dépasser les humains. A ces inquiétudes s’ajoute le vertige sur le vivant qui peut aller jusqu’à menacer la cohésion sociale. Par ailleurs, l’avènement de la Chine va peser sur l’équilibre du monde. Preuve en est, à titre d’exemple, la consommation du ciment : de 2007 à 2009 elle équivaut en Chine à celle des USA depuis un siècle. Un tel développement est inédit par sa rapidité.
Notre univers politique connaît lui aussi des changements profonds. Nous avons grandi au sein d’un modèle occidental démocratique. Or, les régimes autoritaires ne manquent pas d’attraits : ils répondent aux besoins de stabilité et de prospérité de leur population. En France, nous assistons à l’appauvrissement des classes moyennes populaires qui subissent une stagnation ou une diminution du pouvoir d’achat. Nous craignons que nos enfants vivent moins bien que nous. Ces appréhensions nourrissent le populisme ainsi qu’un affaissement démocratique.
Malgré tout cela et en regardant la situation en face, il n’y a pas de raison de penser que tout soit perdu. La France est capable de régler ses problèmes à condition qu’elle accepte de les affronter. Le pire serait que ses élites regardent ailleurs d’où l’utilité de développer des réflexions partagées, des actions concrètes et d’encourager l’engagement individuel et collectif au service de l’intérêt général.
En réponse aux nombreuses questions concernant la guerre en Russie, l’avenir économique incertain, la réalisation des réformes dont le pays a besoin, Edouard PHILIPPE développe les points suivants : au plan international, il constate l’ignorance et l’incompréhension des Européens vis-à-vis de la Russie et de la Turquie. Ces pays au passé glorieux vivent sous des régimes autoritaires et anti-démocratiques. Ils veulent réaffirmer leur puissance vis-à-vis de leurs voisins l’Arménie et de l’Azerbaïdjan. Membre de l’OTAN, la Turquie entretient la deuxième armée du monde. Sa population compte aujourd’hui 85 millions d’habitants alors qu’elle n’en comptait que 35 millions en 1970. La Russie, elle, vient de se livrer à deux agressions majeures en Ukraine et en Arménie. Quelles relations entretenir avec ces puissances ? Comment mettre notre propre puissance en œuvre ? Il nous faut être à la fois conciliants et plus forts car il ne s’agit pas de renoncer. A un certain moment, il nous faut faire preuve de fermeté pour sortir de la surenchère entretenue.
En référence à François GOGUEL, il se livre à quelques constatations. Dans le domaine économique d’abord. A propos de l’ordre et du désordre, François GOGUEL notait que l’on ne peut plus avancer à partir d’un certain niveau de désordre. Pour progresser, il faut préserver un certain niveau d’ordre. Or, nous sommes en total désordre budgétaire. Nos attentes sont plus fortes qu’il y a vingt ans et nous avons une monnaie commune au niveau européen. Il nous faut annoncer ce que l’on va faire et l’annoncer clairement. Inutile de croire que l’on est le centre du monde et que les autres pays n’ont qu’à s’adapter. Mieux vaut développer chez nous la recherche et ses applications, parier sur l’innovation. Aujourd’hui, c’est en Chine que se situe le cœur de la bataille, demain, c’est en Afrique qu’elle se situera. A ces données nouvelles, tout le monde devra s’adapter.
On assiste, par ailleurs, à un double mouvement : urbanisation ainsi qu’orientation vers le littoral. En matière d’écologie, on ne peut que s’alarmer de la mise en danger de la biodiversité. De même, comment ne pas s’interroger sur les équilibres fragiles au niveau européen, en particulier dans notre partenariat avec l’Allemagne.
La France a besoin de se réindustrialiser et, pour cela, de renforcer le niveau de qualification de sa population. Se pose alors la question : comment faire pour renforcer notre système éducatif et améliorer notre niveau, notamment dans les matières scientifiques ? L’interdiction du cumul des mandats a coupé les élus du terrain. Il nous faut abroger cette loi. Enfin, la Justice : c’est l’activité régalienne la moins satisfaisante. Il y a longtemps que nous recrutons moins de magistrats que nos voisins européens. Et rattraper prendra au moins dix ans.
Au terme de cette intervention, Françoise VILAIN, Présidente d’honneur, remercie chaleureusement notre invité pour son analyse très maîtrisée des défis que notre pays doit relever, remerciements auxquels s’associe Monique RONZEAU, qui rappelle que la prochaine invitée sera le 6 décembre, Véronique ROGER-LACAN, Ambassadrice de France auprès de l’UNESCO.