A l’issue de son Assemblée Générale tenue le 6 septembre 2022, l’Association Femmes Débat Société reprend le rythme de ses activités en recevant Jérôme FOURQUET, Directeur du Département Opinion et stratégies de l’Institut Français d’Opinion Publique (IFOP) depuis 2011. Il est, par ailleurs auteur de nombreux ouvrages, dont les plus récents sont : l’Archipel Français (2019) Editions Points et « La France sous nos yeux » (2021) co-écrit avec Jean-Laurent COSSELY, élu meilleur livre de l’année 2021.

Avant de passer la parole à son invité, la Présidente, Monique RONZEAU, précise les dates prévues pour les prochains déjeuners : les mardis 4 octobre, 8 novembre et 6 décembre. Elle procède ensuite à une brève présentation de FDS avant de remercier Jérôme FOURQUET de sa présence et de souligner l’intérêt et la qualité de ses divers ouvrages empreints de rigueur, d’humour, et truffés d’exemples concrets.

Jérôme Fourquet indique qu’il va faire une synthèse de ses deux derniers ouvrages en évoquant dans une première partie les bouleversements de la société française, avant d’en tirer dans une seconde partie des conclusions politiques. Monique RONZEAU souligne d’entrée que nous vivons une époque de transition qui touche tous les domaines de la société et toutes les couches de la population.

LES BOULEVERSEMENTS DE LA SOCIETE FRANCAISE

Jérôme Fourquet confirme en effet qu’après avoir connu une période immuable jusque dans les années 70, la société française a rebattu les cartes : pour surprenante qu’elle fût, l’élection du Président MACRON en 2017 n’a fait que traduire dans les urnes les bouleversements du pays. Bouleversements qui se poursuivent car le processus n’est pas stabilisé.

Depuis la Révolution de 1789, la société française se divisait en deux blocs : à droite, une France religieuse, catholique, à gauche une France laïque. Blocs-repères qui permettaient de se situer dans un monde stable mais qui, en l’espace de 50 ans, se sont effondrés. La fréquentation de la messe dominicale est passée de 35% à l’ouverture de Vatican II à 5% aujourd’hui. Le Parti communiste attirait 20 à 25% des voix en 1976, il en a attiré 2,5% au premier tour de la récente élection présidentielle. Accessoirement, ces fragmentations ne facilitent guère le travail des sondeurs ……

Jusque dans les années 1990, l’information restait peu diversifiée : une seule chaîne (TF1) rassemblait 40% des auditeurs qui vivaient ainsi ensemble les mêmes évènements. L’éclosion des bouquets et du streaming est venue dynamiter ce monopole.

Depuis 1980, nous sommes passés d’une économie de production à une économie de consommation. En 1992, les usines Renault de Boulogne-Billancourt ferment au moment même de l’ouverture d’Eurodisney. Là où le site de Billancourt employait 4 000 personnes, Eurodisney se place au premier rang des sites d’emploi européens avec 7 000 collaborateurs. La fréquentation du lieu le justifie : 35% des français de moins de 35 ans s’y sont rendus. C’est quasiment un pèlerinage. Parallèlement, 940 sites industriels ont été fermés en France et, avec eux, les lieux de rassemblement qui permettaient une intégration sociale : cités ouvrières, clubs sportifs, etc…. Où se retrouve-t-on aujourd’hui ? Chez les premiers employeurs du lieu : le supermarché, l’hôpital, …

Le secteur agricole a aussi connu une même désintégration : en 30 ans, les agriculteurs ont été « rayés de la carte » : ils sont passés de 30% de la population locale en 1980 à moins de 2%. La grande distribution a pris le relais dans les années 1950 et la France est devenue une immense zone de chalandise où se sont installés multiplex, villages de marques devenus les cœurs battants de la société actuelle.

S’ensuivent tout naturellement le développement de la logistique avec la multiplication des entrepôts, des nœuds routiers, ainsi que la croissance du tourisme et du secteur récréatif : en Loir et Cher aujourd’hui, ce n’est plus le château de Chambord mais le zoo de Beauval avec ses 750 employés qui est le plus visité. En Plaine St Denis, le Stade de France joue le même rôle en démultipliant le nombre des industries qui s’y installent.

Monique RONZEAU ouvre les débats avec l’auditoire en soulignant l’incidence de telles transformations : manque de repères, flottement, perte du sens des valeurs, … L’essentiel des questions porte ensuite sur :

• l’influence du modèle américain sur l’évolution de la société française. Nous sommes fortement américanisés selon une déclinaison adaptée à nos régions. La culture rap règne dans les banlieues des grandes villes alors que c’est la music country et le style cow-boy qui imprègne la province. Mais dans le deux cas, on se réfère au modèle américain. La France s’est lourdement désindustrialisée et elle est le 2ème marché de Mc Donald après les Etats Unis.
• La désagrégation du modèle familial : la proportion des familles monoparentales est passée de 10% en 1991 à 25% des foyers français aujourd’hui. Nombre de ces parents isolés en grande fragilité économique ont rejoint les Gilets jaunes. Conséquences de cet éclatement des familles : une augmentation des besoins de logements, multiplication par 2,5 des problèmes de solvabilité….

LES CONSEQUENCES POLITIQUES DE CES BOULEVERSEMENTS

Ce sont autant de signes avant-coureurs des élections de 2017. A nouveaux problèmes et clivages, nouvelles réponses politiques, par exemple sur la question de l’immigration. (l’année 1983 voit l’élection du candidat FN à Dreux, la marche des Beurs de Marseille à Paris). Les immigrés arrivés en premier ont fait souche. Ils jouent un rôle déterminant dans les grandes grèves de Billancourt.

Autres signes : les résultats du référendum sur le Traité de Maëstricht ; le Oui passe d’extrême justesse : 51%. Les bouleversements se poursuivent : la société française s’internationalise, l’euro arrive, le tunnel sous la Manche est ouvert. L’Oréal réalise jusqu’à 35% de son CA dans les pays européens. Le terrain de jeu est devenu mondial.

Interrogé sur la pérennisation du « macronisme », Jérôme FOURQUET assure qu’on ne reviendra pas en arrière : témoins, les scores des partis dits traditionnels de droite et de gauche ; moins de 6% à eux deux réunis. Les nouveaux enjeux sont portés par les partis émergents. Quant à l’abstention, si elle a atteint 50% aux législatives, elle se limite à 25% aux présidentielles, ce qui montre l’importance que leur attachent les Français. Quant aux jeunes, l’abstention les a tentés plus encore que les adultes.

En somme, on assiste à l’ouverture croissante de la société française à l’international. De ce fait, un besoin de comprendre, une recherche de repères chez nos contemporains.

Françoise VILAIN, Présidente d’Honneur, insiste sur l’importance de mieux saisir aspirations et motivations de notre jeunesse à laquelle elle accorde sa confiance. Monique RONZEAU remercie chaleureusement Jérôme FOURQUET du grand intérêt de sa communication et de la générosité avec laquelle il a consacré son temps à l’auditoire.