Lors de son déjeuner mensuel du mardi 10 mars 2015, l'Association Femmes Débat Société a accueillir Son Excellence, Madame Suzanne Marianne WASUM-RAINER, Ambassadeur d'Allemagne à Paris.
Première femme à être nommée à ce poste, Madame WASUM-RAINER s'est dite heureuse de se trouver pour la première fois dans un environnement exclusivement féminin, habituée qu'elle est à participer à des réunions essentiellement masculines. Elle a souligné l'utilité d'un réseau tel que celui de Femmes Débat Société auquel elle a adressé ses vœux de développement et de succès.
Docteur en Droit, juriste reconnue, elle a intégré le Service Diplomatique et Consulaire de son pays. Ses passages au Ministère Fédéral des Affaires Etrangères, dont elle est devenue Directrice Générale en 2012, ont été entrecoupés d'affectations à l'Ambassade d'Allemagne à Rabat, puis à Tel Aviv et enfin à la Mission Permanente de la République Fédérale d'Allemagne auprès de l'Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève. Au cours de sa carrière, elle a fait preuve d'un intérêt soutenu tant pour la réconciliation entre Juifs et Allemands que pour la promotion de la jeunesse et le développement de l'enseignement et des échanges linguistiques.
D'entrée de jeu, elle annonce les quatre points qu'elle se propose d'aborder : l'économie et la finance, les questions relatives au climat et à l'énergie, à la sécurité et à la lutte anti-terroriste, enfin à la politique étrangère.
Quelles que soient les informations diffusées dans les médias, elle souligne le caractère exceptionnel « hors normes » des relations entre la France et l'Allemagne. Ces relations sont permanentes tout autant que bonnes, dans le parfait respect du Traité de l'Elysée qui oblige au dialogue et à la poursuite des voies qui permettent la progression continuelle de ces relations. Les différences entre la France et l'Allemagne sont pourtant nombreuses : Etat centralisé en France alors qu'il est fédéral en Allemagne, rôle de l'Etat plus prégnant en France qu'outre-Rhin, etc...Pour importantes qu'elles soient, ces différences sont un atout : elles obligent, en effet, à trouver les compromis nécessaires.
Si l'Europe fait l'objet de critiques trop fréquentes et sert trop souvent de bouc-émissaire, c'est que l'opinion publique n'en voit pas tous les avantages. Il est essentiel de mieux respecter le rôle de l'Europe sans lui imputer les difficultés qui ne lui incombent pas. La coopération entre partenaires européens reste absolument essentielle.
En matière économique, les différences entre France et Allemagne existent aussi : économie centralisée et existence d'un large marché intérieur chez la première, importance des P M E qui représentent 90% de l'économie et vivent largement de l'exportation chez la seconde. Dans le monde globalisé auquel il faut s'adapter, l'Allemagne est trop petite, tout comme de nombreux pays européens, et elle a besoin de la France. Afin d'approfondir l'Union Economique et Monétaire, les bases d'une union bancaire ont été posées. Une politique commune de croissance et de solidarité, une union monétaire plus étroite, impliquant finance et budget, sont essentiels aux éléments de l' ensemble plus vaste que sont les pays européens. Au sein de cet ensemble, la crise de l'autre est notre propre crise. De ce fait, le Gouvernement Fédéral Allemand se réjouit que la France soutienne ses entreprises. En Allemagne, le budget est en équilibre et les investissements projetés pour les trois prochaines années s'élèvent à 15 milliards d'Euros, sans que soient prévues de nouvelles dettes. On ne peut pas, en effet, faire peser des remboursements sur les générations futures. Comme il est évident que les dépenses publiques ne peuvent pas générer de croissance durable, ce sont les entreprises qu'il faut inciter à investir et à embaucher. Pour ce faire, la confiance est nécessaire.
En ce qui concerne la Grèce, l'Allemagne et les pays européens vont poursuivre une politique de stabilisation et de consolidation. Ne nous trompons pas de crise : il s'agit d'une crise de la dette et non pas d'une crise de l'Euro. Les efforts des pays en difficulté viendront compenser les soutiens qui leur sont apportés. La Grèce vient de promettre d'honorer ses dettes, ses partenaires en resteront solidaires.
Du climat et de l'énergie, le Président Hollande a fait sa priorité et l'Allemagne, elle, a demandé que ces sujets figurent en tête des points abordés au prochain G 7. La Conférence de Paris est la conférence actuellement la plus importante dans le monde et l'Allemagne fera tout pour contribuer à son succès. Diversifier les sources d'énergie, développer la coopération franco-allemande en matière de stockage de cette énergie, etc.. restent essentiels.
En matière de politique étrangère, l'année 2014 a été difficile, l'année 2015 le sera aussi. L'ordre de paix en Europe a été ébranlé par la remise en cause des frontières entre pays. La coopération franco-allemande qui s'est manifestée le 12 février dernier, lors de l'accord de Minsk, est venue illustrer le poids que représente l'association de ces deux pays. Pour des raisons historiques, l'Allemagne ne pouvait agir seule, elle a eu besoin de la France. Il faut, maintenant, que cet accord soit appliqué. Les Européens ensemble peuvent gagner ce conflit, s'ils parlent d'une seule voix.
Contrairement à certains bruits, l'Allemagne n'est pas pacifiste. Jusqu'à l'engagement français au Mali, elle était la nation européenne la plus investie sur les théâtres d'opérations à l'étranger avec un effectif de 5 000 soldats. Il reste que 70% des Allemands sont opposés à une augmentation de ce déploiement qui, pour se faire, aurait de toute façon besoin de l'aval du Bundestag. Il est à souligner aussi que l'Allemagne et le 2ème contributeur au budget des Nations Unies.
En réponse à diverses questions, Madame WASUM-RAINER reconnaît l'importance de la question de l'immigration en Europe. La Méditerranée ne peut pas continuer à être un cimetière. Pour l'éviter, s'impose une politique commune avec les pays d'origine des immigrants. Par contre, il n'est pas souhaitable de modifier les accords de Schengen ni de fermer les frontières, ne serait-ce que parce que l'immigration est nécessaire. Oui au renforcement du système, non à la fermeture.
Interrogée sur l'abandon du nucléaire, Madame WASUM-RAINER indique que, suite à la tragédie de Fukushima, l'Allemagne a ramené à 2022 la date limite de sortie du nucléaire, initialement prévue pour 2030. Les Allemands sont unanimement en faveur de cette décision : ils ne comprennent pas l'attachement à cette forme d'énergie et se tournent résolument vers les énergies renouvelables qui sont sources d'emplois. Restent des problèmes à résoudre tels que celui du stockage de ces énergies renouvelables. Actuellement, la transition est assurée par l'utilisation du charbon qui, s'il est bon marché, ne représente pas une solution souhaitable.
Pour l'Allemagne, la Russie est un partenaire stratégique de l'Europe ainsi qu' un partenaire commercial avec lequel sont entretenus des contacts étroits. Lorsqu'il est question des pays de l'Est et de l'Ukraine, l'Europe prend toujours soin d'agir en accord avec la Russie. Mais, en 2014, la Russie a changé de stratégie militaire vis-à-vis de l'OTAN. Dans ces circonstances, l'Allemagne veut faire preuve de fermeté tout en maintenant la porte ouverte. En témoignent les conversations quotidiennes qu'a la Chancelière Angela Merkel avec le Président Poutine.
Avec la Pologne, les contacts sont fréquents aussi. Elle représente pour les Allemands un pays très important en Europe et un pays fiable.
Enfin, l'Allemagne est convaincue de la nécessité du Traité Transatlantique. 40% du commerce mondial s'effectue entre l'Europe et les USA. L'adoption de règles est indispensable pour la bonne gestion d'un tel volume.
En conclusion, Madame l'Ambassadeur a émis ce souhait : « Nous parler toujours, mais nous aimer ».